L’histoire l’a un peu oublié, mais le second président de la République était polygame, comme le rapporte l’historienne Clémentine Portier-Kaltenbach.
Par Marc Fourny
Il couche avec la mère et ses deux filles
Dans un livre aussi réjouissant que piquant*, elle retrace les incroyables imbroglios familiaux de l’Histoire, entre les pères indignes (Ivan le terrible, Louis XI…), les mères abusives (l’incontournable Catherine de Médicis), les frères impossibles (Louis XIII et Gaston d’Orléans) et autres histoires people croquignolesques de nos ancêtres, dont celle justement celle d’Adolphe Thiers. Ce jeune ambitieux s’entiche d’abord de l’épouse de son bienfaiteur, pas trop pointilleux semble-t-il sur la question, un nommé Alexis Dosne, homme d’affaire fortuné qui pousse son protégé dans les milieux libéraux. Mme Dosne n’est pas en reste : elle croit tellement en Thiers qu’elle devient rapidement sa maîtresse. Mais pour garder son champion à ses côtés, elle lui fait épouser sa fille Élise, 15 ans, pendant que le père et mari part prospérer en province. Tout ce petit monde s’installe dans le même logis, à Paris, tenu d’une main de fer par Mme Dosne, qui régente tout en reine mère, pendant qu’Élise sombre dans l’aigreur et les caprices. À ce duo s’ajoute une troisième venue, Félicie, la seconde fille de Mme Dosne, confite d’admiration pour le brillant politique. Elle finit logiquement dans son lit.
Rien ne résiste à ses appétits
« C’était une situation exceptionnelle pour l’époque, explique Clémentine Portier-Kaltenbach. Les grands bourgeois avaient souvent une double vie, mais avec une maîtresse extérieure. Thiers, lui, assume avec du panache et un certain égoïsme, car toutes ces femmes vivront pour lui et sa gloire. » Adolphe dispose ainsi d’une sorte de harem à domicile, pendant qu’il grimpe les marches du pouvoir : journaliste, académicien, président du Conseil… Rien ne semble résister à tous ses appétits. La presse people n’existe pas encore, mais les chansonniers s’en donnent à coeur-joie dans des couplets salaces : « Tous trois sont ravis/Quand ils sont au lit/Quelle belle famille unie/Ah ! Monsieur Thiers, quelle est donc votre moitié ? » On cohabite tant bien que mal entre non-dits et jalousies, on soupe autour de la même table, on passe ses veillées entre soi, on voyage ensemble… Quand Thiers doit abréger une réunion pour regagner son domicile, il use toujours de la même phrase : « Ces dames m’attendent… » Chacun comprend ce qu’il veut : dans les salons, on s’amuse sur « les trois moitiés de M. Thiers ».
Une première dame et une secrétaire particulière…
La chute de Napoléon III lui ouvre les portes du pouvoir. Quand il est élu président de la République, en août 1871, il ne peut partager sa gloire avec Mme Dosne, décédée deux ans plus tôt. Mais il vit toujours avec les deux soeurs, selon un rituel bien précis : à Élise les honneurs officiels, puisqu’elle devient la première « première dame » de l’histoire de la République française ; à Félicie le rôle de secrétaire particulière, si bien qu’on la nomme bientôt la « demoiselle d’État ». Toutes deux règnent sur l’Élysée, elles suivent de près les rénovations, préparent les réceptions – avec une certaine pingrerie semble-t-il – avant d’éteindre les lustres à minuit et rentrer à leur domicile versaillais. La presse, plus libre, se fait ironique en évoquant le vieux chef d’État : « Je n’ai Montespan ni Fontanges, La Vallière ni Maintenon ; mais j’ai Madame Thiers un ange, et Félicie, un joli nom… » Adolphe Thiers emportera ses femmes dans la tombe, puisque mère et filles reposent pour l’éternité à ses côtés, dans un colossal mausolée au Père-Lachaise. C’est ce qu’on appelle rester fidèle à ses amours.
* Embrouilles familiales de l’Histoire de France, par Clémentine Portier-Kaltenbach, éd. JC Lattès
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