Alibaba est la dernière entreprise à suivre la requête du président Xi Jinping, qui a appelé en août les Chinois fortunés à agir pour « la prosperité commune »
Le géant chinois du commerce en ligne Alibaba a annoncé qu’il allait investir l’équivalent de 13 milliards d’euros dans des causes caritatives.
afp.com/Lionel BONAVENTURE
L’entreprise chinoise Alibaba répond à l’appel du président Xi Jinping… Et voit ses actions plonger. Le géant du commerce en ligne a promis d’investir 100 milliards de yuan, soit 13 milliards d’euros, dans des causes caritatives, comme l’avait demandé le président chinois. Dans la foulée, ses actions ont chuté ce vendredi de 4% à la Bourse de Hongkong, sur fond d’inquiétude des investisseurs vis-à-vis des conséquences de cette initiative sur l’entreprise.
Le chef d’Etat chinois avait appelé courant août les plus fortunés de ses compatriotes à oeuvrer davantage à « la prospérité commune », dans un pays où l’essor économique fulgurant de ces dernières décennies a creusé les inégalités. Dans le collimateur des autorités ces derniers mois pour diverses raisons, de la collecte abusive de données personnelles aux accusations de pratiques monopolistiques, Alibaba a décidé de répondre à l’appel. PUBLICITÉLIRE AUSSI >> Alibaba plus que jamais sous surveillance… chinoise
Le groupe « est impatient d’apporter sa contribution à la réalisation de la prospérité commune », a déclaré dans un communiqué Daniel Zhang, le PDG d’Alibaba. Le géant du e-commerce a annoncé vouloir investir dans les domaines de l’innovation technologique, des PME ou encore du bien-être des travailleurs précaires. Il a par ailleurs annoncé la création d’un fonds de développement de 20 milliards de yuans (2,6 milliards d’euros) dans la province du Zhejiang, à l’est de la Chine, siège du groupe et « zone pilote » du programme de « prospérité commune ». La Loupe, le podcastNouveau ! Ecoutez l’info de plus près
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Horizon : 2025
L’investissement promis par Alibaba sera réalisé avant 2025, précise le South China Morning Post – propriété du groupe Alibaba depuis 2015. Le quotidien hongkongais cite un article de Zhejiang News, un média d’Etat de la province où est basé le géant du commerce en ligne. Celui-ci compte notamment investir dans les technologies et dans le soutien aux petites entreprises – en particulier pour leur permettre de se développer à l’international. Ainsi, les fonds seront notamment utilisés pour diminuer les dépenses de fonctionnement quotidiennes et pour fournir des subventions.
Alibaba promet par ailleurs d’investir pour le développement des zones rurales et pour l’amélioration du bien-être des travailleurs de la « gig economy », notamment les livreurs et les chauffeurs. L’entreprise va créer une équipe dédiée à la mise en place de ce programme d’investissements, rapporte encore Zhejiang News. Alibaba, interrogé par le South China Morning Post, a confirmé ces informations mais a refusé d’apporter plus de précisions.
Comme le rappelle le South China Morning Post, la promesse d’Alibaba est la plus importante réalisée à ce jour par une entreprise chinoise en réponse à l’appel du président Xi. Cette décision « est en lien avec la pression règlementaire grandissante » qui pèse sur les entreprises chinoises, explique au quotidien hong-kongais Li Chengdong, du consultant en commerce en ligne Dolphin Think Tanj. « Il y a eu des critiques sur le fait que les entreprises du web ont beaucoup trop gagné. Cette initiative est un message, pas seulement au gouvernement, mais aussi à l’opinion publique. » PUBLICITÉLIRE AUSSI >> Frédéric Filloux : Alibaba, Ant Group… Comment Xi Jinping met au pas la tech chinoise
Le double de Tencent
Li Chengdong rappelle par ailleurs que les 100 milliards de yuan promis par Alibaba ne sont pas une donation, mais bien un investissement – ce qui ne devrait pas représenter de perte directe dans les comptes de l’entreprise. Cette somme représente le double de la somme promise le mois dernier par Tencent, le géant chinois des jeux vidéo et propriétaire du réseau social WeChat, qui avait déclaré vouloir soutenir les bas salaires, la couverture santé, le développement rural et l’égalité dans l’éducation.
D’autres sociétés ont également répondu à l’appel du gouvernement, comme Pinduoduo, une entreprise de commerce en ligne spécialisée dans la vente à bas prix de produits alimentaires. Son PDG, Chen Lei, a annoncé que sa compagnie avait lancé à hauteur de 10 milliards de yuan une initiative visant à aider les résidents des zones rurales dont le revenu moyen représentait le tiers de celui des citadins.
Wang Xing, fondateur du géant de la livraison de nourriture Meituan, a lui affirmé lundi, juste après les annonces de Tencent, que la « prospérité commune » était inscrite dans les « gènes de Meituan », dont le nom signifie « mieux ensemble ». En juin, Meituan avait annoncé que Wang avait donné 10% de ses actifs dans la compagnie à une fondation philanthropique pour l’éducation et la recherche, rappelle le South China Morning Post. Cette annonce avait alors été vue comme une manière de répondre à la pression exercée par Pékin. D’autant plus que Meituan est également la cible d’une enquête de l’administration, qui peut lui coûter jusqu’à 700 millions de dollars d’amende.
Donations personnelles
Certaines grosses fortunes chinoises agissent aussi en leur nom propre. Au printemps, déjà Colin Huang, fondateur de Pinduoduo, avait démissionné de son ancien poste de PDG, et avait annoncé que sa fondation Starry Night donnerait l’équivalent de 100 millions de dollars à son ancienne université, celle de Zhejiang, pour soutenir la recherche fondamentale en science biomédicale, en agriculture et en alimentation. LIRE AUSSI >> Après Alibaba, la pression de Pékin se resserre sur Ant Group
Et les enchères caritatives dépassent le simple monde la tech : le fabricant de voiture Geely a promis d’établir un projet pour « la prospérité commune » et d’augmenter les revenus de ses employés. Celle semaine, l’entreprise a annoncé qu’elle distribuerait 1,67 millions de ses parts à 10 884 de ses employés.
Si l’annonce d’Alibaba surpasse toutes les autres, elle « ne garantit pas à Alibaba qu’elle ne sera pas visée par d’autres mesures des régulateurs », a souligné auprès de Bloomberg News l’analyste Castor Pang, du cabinet Core-Pacific Yamaichi. Sur le même sujet
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Les régulateurs chinois opèrent actuellement une reprise en main des entreprises technologiques, après des années de législation relativement laxiste. Au printemps, Alibaba a été condamnée à une amende de 2,3 milliards d’euros pour entrave à la concurrence. Son charismatique fondateur, Jack Ma, observe une grande discrétion depuis de nombreux mois. Le tour de vis s’est étendu ces derniers mois aux secteurs des jeux vidéo en ligne, du divertissement et des instituts privés proposant du soutien scolaire. Les critiques se sont aussi abattues sur les géants de la tech en raison des heures supplémentaires souvent non payées ainsi que des conditions de travail précaires des livreurs de repas.