Un cadre du Sénat a-t-il collaboré avec la Corée du Nord ? Ce haut fonctionnaire, Benoît Quennedey, a été interpellé dimanche par les services de renseignements, pour des soupçons d’espionnage au profit du régime de Pyongyang.
Que s’est-il passé ?
Après un week-end passé chez ses parents, à Dijon, Benoît Quennedey a été interpellé dimanche soir, à son retour à Paris. Il a été placé en garde à vue, dans les locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).
Une arrestation menée en toute discrétion dans le cadre d’une enquête ouverte en mars, pour « recueil et livraison d’informations à une puissance étrangère, susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ». Des perquisitions ont été menées en parallèle à son domicile, ainsi que chez ses parents, à Dijon.
Que lui est-il reproché ?
Benoît Quennedey est soupçonné d’avoir livré des informations confidentielles au régime paria de Kim Jong-un. Dans les couloirs du Sénat, l’annonce de cette arrestation a un peu surpris. « C’est grotesque, quand on connaît l’intéressé. Ce n’est pas l’affaire Philby [NDLR, agent des services secrets britanniques qui s’est révélé être un espion soviétique] ! On a peine à le croire », a dénoncé un ami du quadragénaire, contacté par le Parisien lundi soir.
« Il est au secret », nous a assuré Dominique Mazuet, libraire dans le XIVe arrondissement, qui a lui aussi publié deux ouvrages aux éditions Delga. « Personne – pas même ses parents – ne sait si Benoît a pris un avocat. Et, si tel était le cas, aux dernières nouvelles, il ne s’est pas manifesté auprès de sa famille… », a ajouté le libraire, qui a improvisé lundi soir, avec d’autres amis de Benoît Quennedey, une conférence de presse, pour dénoncer cette « garde à vue ». Un comité de soutien « appelant à la libération immédiate de Benoît est en cours de constitution », précise Dominique Mazuet.
Qui est Benoît Quennedey ?
Haut fonctionnaire au Sénat. Ancien diplômé de l’ENA, issu de la promotion 2001-2003 « René Cassin », Benoît Quennedey est un administrateur de la Direction de l’architecture, du patrimoine et des jardins du Sénat, en charge de la division administrative et financière. « C’est un technicien », nous explique Aymeric Monville, son éditeur. « C’est quelqu’un qui est passionnant à écouter, parce qu’il connaît bien les dossiers économiques », assure-t-il. « Mais il ne connaît de ces dossiers que ce qu’il en lit dans les journaux. Au Sénat, il n’a accès à aucune information stratégique », défend-il encore.
Passionné par les deux Corées. Benoît Quennedey est l’auteur de « La Corée du Nord, cette inconnue », paru en 2017 aux éditions Delga. « Il a appris le coréen, qu’il ne parle pas couramment, mais bien », précise Aymeric Monville.
Depuis deux ans, Benoît Quennedey est le président de l’Association d’amitié franco-coréenne (AAFC), fondée en 1969 et dédiée à « la promotion de l’amitié entre les peuples français et nord-coréens », ajoute Aymeric Monville. Une association dont il est membre depuis 2005, qui revendique quelque 250 membres.
L’AAFC a « été interdite en 2004 à la Fête de l’Huma, parce que le PCF redoutait d’être assimilé au modèle nord-coréen. C’est totalement absurde », peste celui qui se présente comme « l’éditeur de la mouvance marxiste-léniniste ». « Cette association a une vocation touristique, culturelle, à laquelle Benoît Quennedey s’est toujours tenu », insiste-t-il.
« En France, le lobbying a mauvaise presse. Mais oui, en quelque sorte, nous sommes un tout petit lobby », reconnaît Patrick Kuentzmann, secrétaire général de l’AAFC depuis 2009. « Pour une raison inexplicable, la France refuse d’établir des relations diplomatiques avec la Corée du Nord. Nous estimons que cet effacement de la France, nuit à son influence. »
Actuellement, l’AAFC organise un voyage en Corée du Nord par an. Le dernier a été effectué en septembre dernier, en compagnie de Benoît Quennedey.
Un militant des Radicaux de gauche. Benoît Quennedey avait adhéré aux Radicaux de Gauche en juin dernier. « C’est la sidération », souffle Virginie Rozière, coprésidente des Radicaux de gauche, mouvement créé par opposition à la fusion, fin 2017, du Parti radical de gauche (PRG) avec les Radicaux valoisiens.
« Nous allons attendre que l’enquête suive son cours. Rien de ce que nous connaissons de Benoît Quennedey ne pouvait nous laisser envisager de tels soupçons », ajoute Virginie Rozière. « Personnellement, je ne le connais quasiment pas. Je sais qu’avant de rejoindre notre mouvement, il était adhérent au PRG, depuis au moins 2012, date à laquelle j’avais moi-même pris ma carte », ajoute la députée européenne. « Après la fusion, il m’a dit qu’il nous avait ralliés parce qu’il trouvait le PRG trop à droite ».
Que risque-t-il ?
Comme l’expliquait Le Parisien, lors de la mise sous écrou de deux agents de la DGSE en mai dernier, le « recueil et la livraison d’informations à une puissance étrangère, susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation » est un délit passible, en vertu de l’article 411-5 du Code pénal, de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. La dernière condamnation de ce type a été prononcée en 1996.