Rouge vif, la chronique d’Anne Roumanoff.
Dès le début de son règne, Normal Ier montra qu’il voulait, en rupture avec les habitudes prises par son prédécesseur, aller vers plus de simplicité dans l’exercice du pouvoir. Ainsi, le jour de son investiture, il plut à verse mais Normal Ier se refusa à prendre un parapluie. L’eau dégoulina sur ses lunettes transparentes, son costume était trempé mais Normal Ier affronta les intempéries avec une dignité qui força le respect. C’était sa façon de faire face aux obstacles : les ignorer, serrer les poings et attendre que l’orage passe.
Le peuple s’enthousiasma pour Normal Ier et son style sans ostentation. « Pourquoi prendre l’avion?, s’indignait-il. Je voyagerai en train comme un citoyen ordinaire. » Normal Ier serrait chaleureusement les mains de tous les sujets du royaume, faisait des bisous aux enfants dans les écoles et avait un mot aimable pour chacun.
Il nomma le bourgmestre de Nantes, sieur Ayrault, un homme calme et sérieux, gouverneur du royaume. Sieur Ayrault de Nantes était tellement raisonnable qu’il avait du mal à canaliser la fougue de ses ministres. Ainsi, le duc de Peillon annonçait régulièrement des mesures surprenantes sans jamais avoir consulté au préalable le gouverneur. La vicomtesse Duflot de Paroles avait fait sienne cette devise : « Toujours insoumise, jamais démise. » Quant au comte Valls d’Évry, il prenait chaque jour des initiatives musclées que le bon peuple appréciait, trouvant chez lui la poigne qui faisait tant défaut à Normal Ier.
Las, les caisses de l’État étaient vides, les fabriques fermaient les unes après les autres. Le chevalier de Montebourg, chargé de redresser l’activité du royaume, avait beau tempêter, pester, s’indigner, rien n’y faisait. Quant au vicomte Sapin de Langue de Bois, il se plaisait à répéter que Normal Ier n’était en rien responsable de l’état de délabrement dans lequel il avait trouvé le royaume. C’est la marquise Chazal de la Une qui osa enfin poser à Normal Ier une question d’une terrible insolence : « Qu’allez-vous faire maintenant? » Le souverain la rassura : « Ne vous inquiétez pas, j’ai tout noté dans mon agenda. »
Normal Ier n’eut d’autre choix que d’augmenter les impôts, mais dans le même temps il engagea des milliers d’agents publics. Ses conseillers s’inquiétèrent : « Comment pouvez-vous réduire la dette du royaume si vous augmentez les dépenses? » Normal Ier éluda ; à ceux qui insistaient, il répondit : « On verra. » C’était la tactique qui avait fait son succès, naviguer à vue au gré des événements, courber la tête, attendre les éclaircies et au besoin faire demi-tour devant l’adversité.
Ainsi, en voyage aux Amériques, Normal Ier préféra rebrousser chemin plutôt que d’aller saluer publiquement la comtesse Ségolène du Poitou, qu’il avait pourtant aimée pendant plus de vingt ans. On murmura que c’était pour éviter de susciter le courroux de sa favorite, la belle duchesse de Trierweiler, qui jalousait la comtesse du Poitou au-delà du raisonnable. Mais la principale interrogation n’était pas là : cet homme tranquille et intelligent, n’était-il pas trop ordinaire pour faire face à une crise aussi extraordinaire?