Me Gilles Simeoni fait le point sur ce dossier à six jours de l’ouverture du troisième procès du berger de Cargese devant la cour d’assises spéciale de Paris
Dans six jours très précisément, le lundi 2 mai 2011, débute devant la cour d’assises spécialement composée de Paris, le troisième procès d’Yvan Colonna, accusé de l’assassinat du préfet Claude Erignac, à Ajaccio, le 6 février 1998. Une nouvelle et sans doute ultime étape dans cette affaire judiciaire, « l’affaire de la décennie », qui s’inscrit aujourd’hui dans un contexte politique nouveau dont il est difficile, pour l’heure, de mesurer l’impact. Un contexte peut être moins crispé, en raison notamment de l’usure du temps mais les enjeux demeurent les mêmes : Yvan Colonna qui n’a cessé de clamer son innocence espère retrouver sa liberté, de son côté, la famille Erignac, mise à l’épreuve durant ces longues années, entend que justice soit faite.
Fera-t-on la lumière sur cette tragédie ? Le premier procès avait abouti à la condamnation d’Yvan Colonna à la réclusion criminelle à perpétuité, un verdict alourdi en appel, assorti en effet, d’une période de sûreté de 22 ans. Mais, in fine, annulé en cassation : il a désormais une nouvelle chance de convaincre ses juges.
Les débats seront présidés par Hervé Stephan, l’accusation sera soutenue par Annie Grenier assistée d’Alexandre Plantenvin dont les réquisitions, lors du procès correctionnel des soutiens du berger en cavale, avaient été particulièrement rudes.
L’accusé sera entouré d’une équipe de pénalistes aguerris, dont Mes Antoine Sollacaro, Pascal Garbarini, Gilles Simeoni, Philippe Dehapiot, présents depuis les premières heures, et encore étoffée d’Eric Dupond-Moretti. De nombreux médias seront au rendez-vous de ce nouveau procès programmé sur huit semaines.
Dans quel état d’esprit se trouve Yvan Colonna aujourd’hui ?
Il est combatif, il attend avec impatience et détermination ce troisième procès. En même temps, il ressent une angoisse car il a déjà été confronté à une machine judiciaire qui était là pour le broyer. Pèsent également lourdement sur lui huit années de détention dans des conditions difficiles. Et deux années d’isolement. Il est détenu en maison d’arrêt, soumis à un régime plus restrictif qu’en centrale.
Comment se prépare-t-il à son procès qui débute le lundi 2 mai ?
Il s’efforce de garder la sérénité indispensable pour aborder une telle épreuve. Il ne peut pas préparer son procès dans de bonnes conditions dans la mesure où il est impossible de rentrer en détention un dossier de plusieurs dizaines de milliers de pages. Il va donc être interrogé pendant deux mois en référence à des procès-verbaux auxquels il n’a, pour la plupart d’entre eux, jamais eu accès. Théoriquement, tout accusé doit avoir la faculté de préparer sa défense mais cette affirmation se heurte à la façon singulière de fonctionner de la justice antiterroriste.
Comment vit-il sa détention ?
Pour survivre dans des conditions aussi hostiles, avec une pression aussi forte sur la durée, il faut une grande discipline. Il se lève très tôt, fait de l’exercice, lit beaucoup, écoute peu la radio et la télé. Il a des rapports corrects et sans problème avec les autres détenus. Il n’y a pas d’hostilité particulière à son égard, on lui témoigne au contraire sympathie et soutien. Sa famille le soutient aussi beaucoup.
Comment se présente la défense, numériquement parlant ?
Antoine Sollacaro, Pascal Garbarini, Philippe Dehapiot et moi-même serons toujours présents. Patrick Maisonneuve a laissé sa place à Eric Dupond-Moretti qui est un grand pénaliste. C’est un choix qui appartient à Yvan Colonna.
Quel sera exactement le rôle de Me Eric Dupond-Moretti ?
En général, les pénalistes n’aiment pas se laisser enfermer dans un rôle ou dans un seul volet du dossier mais il y a des caractéristiques professionnelles plus marquées chez les uns et les autres. Philippe Dehapiot est un grand spécialiste de la procédure pénale, sa présence a été précieuse lors du procès en appel. Quand à Eric Dupond-Moretti, on connaît sa présence devant les cours d’assises. On sait qu’il a une grande expérience des mécanismes qui conduisent à l’erreur judiciaire, notamment à travers l’affaire Outreau. Chacun essaiera d’apporter son regard, ses compétences et sa motivation.
La défense d’Yvan Colonna est imposante…
Nous sommes nombreux mais on ne doit pas oublier que nous faisons face à deux avocats généraux, trois avocats pour Madame Erignac et ses enfants, un avocat pour Robert Erignac, un avocat partie civile pour l’Etat qui est triplement juge et partie dans cette affaire, un avocat pour chacun des gendarmes victimes, enfin un avocat pour le Fonds de garantie, chacun étant souvent secondé par un collaborateur.
La stratégie de la défense sera-t-elle sensiblement différente par rapport aux précédents procès ?
Elle sera fonction de l’attitude des juges. En appel, notre attitude nous a été imposée par la façon scandaleuse dont nous avons été traités. Nous étions déterminés, sur le fond, à jouer le jeu judiciaire et, sur la forme, à être, comme nous le sommes tous généralement, intraitables sur la défense des principes et des intérêts de nos clients, et en même temps respectueux de nos contradicteurs. Nous sommes tombés dans un traquenard judiciaire auquel ont participé, de concert, les avocats des parties civiles, les avocats généraux, et les magistrats de la cour. Nous n’avions plus d’autre choix que celui de la rupture. Donc nous allons à ce nouveau procès malheureusement échaudés par l’expérience et, en même temps, avec l’espoir que les magistrats seront prêts à envisager l’innocence de Colonna. S’ils veulent avancer sur le chemin de la vérité, on ne craint pas ce procès, il ne pourra que bien se terminer pour Colonna.
Que savez-vous sur le président de la cour d’assises spéciale de Paris, Hervé Stephan, qui conduira les débats ?
Les confrères pénalistes qui ont eu l’occasion de le pratiquer disent que c’est un magistrat loyal. Nous attendons de voir ce qui se passera à l’audience car l’expérience nous a malheureusement prouvé que dans l’affaire Colonna tout est possible.
Et le ministère public ?
Les parquetiers sont au nombre de deux : Annie Grenier qui a longtemps fréquenté la juridiction antiterroriste, y compris pendant la période trouble des années 95. Elle était à l’époque connue pour sa grande docilité vis-à-vis du pouvoir politique.
Et à ses côtés, Alexandre Plantevin qui a souvent requis dans des affaires corses… et notamment lors du procès des soutiens d’Yvan Colonna en cavale
Il a eu, dans ce cadre, des attitudes excessives que certains n’ont pas hésité à qualifier de racistes ou anti-Corses.
Tous les témoins seront-ils au rendez-vous selon vous ?
Il faut l’espérer. Notamment le commandant Lebos qui a réalisé un très grand nombre d’actes de procédures pour le moins critiquables. C’est lui qui, le premier, a « recueilli » le nom d’Yvan Colonna en garde à vue dans des conditions suspectes, qui a promis personnellement à Yvan Colonna « de lui faire prendre 30 ans », qui n’a pas craint de détourner une commission rogatoire à des fins personnelles. On espère qu’il sera parfaitement rétabli pour l’audience. En appel, il avait produit un certificat médical le décrivant mourant suite à une dépression nerveuse consécutive à sa prestation lors du premier procès. Heureusement pour lui, il avait retrouvé miraculeusement force et vigueur après le départ de la défense. Il s’était présenté à la barre quand nous n’étions plus là, il n’avait plus en effet grand-chose à craindre des questions des parties civiles des avocats généraux et du président….
A quel moment pourrait avoir lieu une reconstitution des faits à Ajaccio ?
La cour avisera, on en fera la demande au moment opportun…
Cette fois, comment pensez-vous aborder l’audition des membres du commando qui ont d’abord désigné Yvan Colonna comme le tireur avant de se rétracter mollement ?
On oublie que depuis 2000, ils ont mis hors de cause Yvan Colonna. C’est vrai, beaucoup de choses sont restées dans l’ombre, beaucoup de questions qui se posent. On verra ce qu’ils voudront dire.
Yvan Colonna joue son va-tout, que faut-il éviter dans le déroulement des débats pour ne pas basculer dans la cacophonie du procès en appel ?
On est dans un débat loyal, on a toujours respecté les règles du procès pénal, notre colère n’est pas née de rien. Elle est née, à titre principal, du traitement inique et scandaleux du traitement qu’on a réservé à notre client et accessoirement, au caractère injurieux de certains protagonistes du procès à notre égard.
Sur le plan politique, les enjeux de ce procès sont-ils les mêmes aujourd’hui ? Le temps n’a-t-il pas changé la donne quelque part ?
Sur le plan politique, l’ensemble de l’appareil de l’Etat a fait d’Yvan Colonna le coupable nécessaire. La difficulté, c’est qu’on n’est pas dans un procès normal, mais face à une coalition d’intérêts puissants qui convergent vers Yvan Colonna pour le condamner. Pourquoi ? D’abord, du côté de ceux qui, dans le pouvoir politique, l’ont présenté comme coupable, on peut craindre qu’il soit difficile de reconnaître qu’il est innocent. Il ne faut pas oublier que la police et la justice antiterroriste se battent le dos au mur, si le débat judiciaire va au bout, et met au jour l’ensemble des turpitudes des services policiers et magistrats antiterroristes dans cette affaire qui est quand même l’affaire du siècle, disons de la décennie, en France, c’est tout le système qui risque d’exploser. Ils ont un besoin absolu d’un Yvan Colonna coupable, car reconnaître qu’il ne l’est pas c’est parachever la démonstration qu’ils n’ont pas résolu l’assassinat.
Ils n’ont pas les auteurs des attentats de Vichy et Strasbourg, ceux des communiqués de revendications, ils n’ont pas tous les auteurs de Pietrosella, ils n’ont pas l’ensemble des participants à la conception et à la réalisation des deux opérations. Les médias ont compris qu’il y avait un problème dans cette affaire. L’opinion publique est largement acquise à la nécessité d’un procès équitable. Ce procès a, en Corse, une portée considérable, pèse d’un poids énorme dans les relations entre la Corse et l’Etat. Comment pourrait-on construire une relation apaisée en validant ce qui s’est passé dans cette enquête et cette instruction ? Pour toutes ces raisons, on espère qu’il y aura des magistrats en France prêts à juger en dehors des pressions et préjugés et traiter Yvan Colonna comme un justiciable.
Un acquittement est-il encore possible selon vous ?
Il est inéluctable si le procès se déroule bien.
Procès en appel : « Une stratégie de rupture »
Quels commentaires vous inspirent les différentes procédures engagées jusqu’ici ?
Lors du premier procès, on sortait de quatre années (de 1999 à 2003) durant lesquelles la thèse de la culpabilité était gravée dans le marbre et du discours de l’institution antiterroriste, et des discours politique et médiatique. Au moment de l’arrestation, la fameuse phrase de Sarkozy a donné la touche finale à cet édifice de destruction méthodique de la présomption d’innocence. À partir de là, on repart sur un cycle de trois ans d’instruction à charge, comme l’avait été la première partie. Les juges auraient dû instruire à charge et à décharge, voir si la thèse de la culpabilité résistait à l’examen. Ils ne l’ont pas fait.
Durant tout ce temps, les juges Laurence Le Vert et Gilbert Thiel violent encore la loi en n’instruisant qu’à charge. Ainsi, on va attendre 15 mois pour organiser des confrontations avec les membres du commando alors que l’accusation ne repose que sur leur mise en cause initiale par la suite démentie. Le juge Le Vert va très longtemps se refuser à présenter Colonna au témoin direct qui fait une description précise du tireur car elle craint d’affaiblir la thèse de l’accusation.
On arrive au premier procès : Yvan Colonna a été placé à l’isolement total pendant deux ans d’instruction. Il est dans l’imaginaire collectif une sorte de bête sanguinaire, « tueur de préfet ». Il nous fallait faire la preuve dans le premier procès, qu’il y avait beaucoup de lacunes, d’incohérences dans la thèse de l’accusation, on fait le choix d’un procès selon les règles traditionnelles.
Pour la première fois lors de l’audience 2007, Colonna et sa défense peuvent s’exprimer. Pour la première fois, le débat contradictoire est respecté.
On avait rappelé à cette époque que le caractère scandaleusement partial de l’instruction avait faussé de façon irréversible le débat judiciaire. Au-delà de ce respect en apparence des formes, la question était de savoir si les juges étaient prêts à entendre la thèse de l’innocence. La réponse est non, à l’évidence. Pour le 2e procès, il fallait aller plus loin dans la démonstration que l’accusation ne résiste pas à l’examen mais on tombe dans un traquenard. À partir de là, c’est une stratégie de rupture.
Taille du tireur : « Conclusions limpides »
Si l’expert balistique ne se présente pas comme précédemment, quelle sera votre position sachant qu’il est primordial de régler la question de la taille du tireur ?
On espère qu’il sera là. On note que l’instruction a été défaillante sur une question de base dans toutes les procédures criminelles puisque l’absence de reconstitution a eu deux conséquences majeures : tout d’abord, éviter que soient mises en évidence les contradictions et divergences entre la version initiale du commando impliquant Yvan Colonna et d’autre part la configuration des lieux, et différents témoignages recueillis auprès des témoins oculaires.
Par ailleurs, elle n’a pas permis à l’expert balistique d’apprécier sur les lieux les conséquences que l’on pouvait tirer des constatations médico-légales de l’autopsie. Là encore, c’est la défense qui a pallié les carences de l’accusation et les lacunes du dossier.
On a fait appel à l’expert Mannarini qui a produit un document versé aux débats lors du 2e procès.
Sa démonstration est scientifiquement imparable, elle n’a été critiquée ni par les parties civiles ni par l’accusation.
Ses conclusions sont limpides : le tireur avait nécessairement une taille supérieure à celle de Colonna