© Stéphane de Sakutin Joelle Ceccaldi-Raynaud, alors maire de Puteaux à un meeting LR, le 10 juin 2015
Des trajets en voiture, des bordereaux de retrait dans une grande banque luxembourgeoise, et des enveloppes de billets rapatriées dans les Hauts-de-Seine, à Puteaux. Dans la saga Ceccaldi-Raynaud, le témoignage d’Olivier Bensadoun, recueilli par Mediapart, apporte des éclairages précieux.
Selon le journal en ligne, l’ancien employé municipal, qui officiait en tant que «directeur des sports» à la mairie de Puteaux, affirme avoir été l’homme de confiance de la famille. D’abord en effectuant, entre 2005 et 2008, d’importants retraits d’argent liquide au Luxembourg, avant de le rapatrier en France. Et surtout en transportant une partie des 102 lingots, lorsque, fin 2008, Emilie Franchi, la fille de Joëlle Ceccaldi-Raynaud, a dû vider en urgence le compte secret ouvert par sa mère où ils avaient été entreposés.
Un compte ouvert en 1997, comme l’avait révélé le Canard enchaîné, en 2011. Pour comprendre cette histoire de gros sous, il faut remonter quelques années en arrière, en 2004. Cette année-là, Charles Ceccaldi-Raynaud confie les clés de la ville des Hauts-de-Seine à sa fille, qui refusera ensuite de lui redonner le siège. Une trahison, pour le père, qui n’hésitera pas à dénoncer sa fille, en 2008 : Joëlle Ceccaldi-Raynaud détiendrait un compte caché au Luxembourg. Au même moment, la justice s’intéresse déjà à l’attribution de marchés publics de la ville, notamment celui de la chaufferie de la Défense, immense quartier d’affaires et source de revenus considérables pour la ville des Hauts-de-Seine. Les deux affaires peuvent-elles être rapidement liées ?
«Un moment de panique»
Joëlle Ceccaldi-Raynaud ferme alors son compte secret, avant d’en ouvrir un autre, au nom de ses enfants. «Une erreur due à un moment de panique», affirmera-t-elle aux enquêteurs. L’argent est alors confié à un certain Didier Bensadoun, un Français chargé de clientèle chez Edmond de Rothschild Luxembourg. Le nom de Didier Bensadoun ressortira plus tard dans les Panama Papers, une vaste enquête portant sur des montages financiers «offshore» de plusieurs personnalités : l’homme serait actionnaire d’une société domiciliée aux Iles Vierges britanniques (un paradis fiscal), qui a été depuis dissoute. Le Canard enchaîné avait déjà révélé, en 2011, que le compte ouvert en 1997 l’avait été via une société écran domiciliée… aux Iles Vierges.
A l’époque, Didier Bensadoun présente alors son frère, Olivier, sans emploi, à sa nouvelle cliente, Joëlle Ceccaldi-Raynaud. «Qu’est-ce que je vais m’emmerder à travailler dans une mairie ?» répond Olivier à son frère, alors qu’on lui propose un poste à Puteaux. Le voici pourtant engagé en 2004, en tant que directeur des sports. «Il est arrivé de nulle part, et a été nommé directeur des sports, se souvient un ex-élu auprès de Libération. Quelles étaient ses compétences ? Nous n’avons jamais eu de réponses.»
A Mediapart, Bensadoun raconte ses débuts au service de Joëlle Ceccaldi-Raynaud. «Dès le départ, elle est très sympa, elle me met vraiment très à l’aise. Mais elle avait une intention derrière la tête. Pour elle, je pouvais lui servir, parce que je peux contacter mon frère, qui est son banquier au Luxembourg, sans qu’elle n’ait besoin de le faire. Mon frère, je l’appelle quasiment tous les jours, c’est normal.» Une relation pratique, pour gérer des fonds à distance, et sans se faire remarquer ?
«Elle donnait l’enveloppe à Maman»
Les retraits de fonds commenceraient selon l’ex-employé municipal dès l’année suivante, en 2005. Un premier trajet est effectué, en février via le nord de la France, et Amsterdam, en compagnie de Vincent Franchi, le fils de la maire de Puteaux : 75 000 euros sont retirés, selon un bordereau de retrait exhumé par Mediapart. Des fausses accusations, selon Vincent Franchi, qui affirme s’être rendu seul au Grand-Duché. L’argent retiré puis remis directement au banquier aurait permis de «payer les frais de rapatriement.» «J’ai contesté devant l’enquêteur l’ensemble de ses déclarations», se défend-il auprès de Mediapart.
S’il semble prendre ses distances aujourd’hui, la proximité du fils Ceccaldi-Raynaud avec Olivier Bensadoun ne fait pas de doute, selon l’ex-élu déjà cité. «On les voyait souvent ensembles. C’était du tutoiement, de la camaraderie. Le lien de proximité était évident.»
La suite des voyages, en 2006, sera effectuée par la fille, Emilie Franchi. «On partait le lundi matin, on prenait le premier train à 7 heures, on arrivait là-bas à 9 heures, mon frère venait nous chercher à la gare, Émilie faisait son retrait à la banque et on repartait en train, raconte Olivier Bensadoun. Dès qu’on arrivait à Paris, j’avais ma voiture garée à la gare, je la déposais en mairie, il était à peu près 14 heures, et je la voyais, elle donnait l’enveloppe à maman.» Tous ces voyages, Bensadoun les racontera devant les enquêteurs de l’Office anticorruption, l’OCLCIFF, en août 2019. Au total, 460 000 euros ont ainsi été retirés, entre 2005 et 2008.
«Croyez-moi, ils étaient lourds !»
En 2008, la guerre familiale prend un nouveau tournant : Charles Ceccaldi-Raynaud, surnommé le «renard argenté des Hauts-de-Seine», dénonce sa fille à la justice, à propos du compte caché au Luxembourg. Paniquée, sa fille convertit alors l’argent caché en lingots d’or. Commence alors une course contre la montre pour retirer le pactole des coffres luxembourgeois. Le 27 octobre 2008, Emilie Franchi retire 480 000 euros et 30 lingots d’or, d’un kilo chacun. «Je patientais dans un salon. Emilie est ressortie avec les sacs et m’a demandé de les prendre, sans que je voie ce qui était à l’intérieur, raconte Olivier Bensadoun. Mais je savais ce qu’il y avait dedans […] Croyez-moi, ils étaient lourds ! D’ailleurs, la toile d’un des sacs s’est déchirée, ça s’ouvrait un peu sur les côtés.» L’argent et l’or auraient été transportés par taxi, dans une autre banque luxembourgeoise. Le transfert a été reconnu par Mme Ceccaldi-Raynaud.
Tous ces mouvements d’argent avaient déjà été révélés par Mediapart, en septembre 2015. Une question demeure : d’où vient ce trésor ? «C’est de l’argent qui vient de la corruption, d’où voulez-vous qu’il vienne ?» avait déclaré son père, Charles Ceccaldi-Raynaud, aux juges. D’un héritage familial ? C’est la thèse qu’a toujours défendue la maire de Puteaux, évoquant sa grand-mère, institutrice en Corse. Ou bien de l’argent de la Défense, et notamment du contrat de la chaufferie du vaste quartier d’affaires ? En janvier, le procès pour corruption de cinq prévenus dans cette affaire de concession publique a été annulé pour «délai non raisonnable» : un fiasco, après plus de vingt d’ans d’instruction ?
Un mois plus tôt, en décembre 2020, Joëlle Ceccaldi-Raynaud avait été mise en examen pour «blanchiment de fraude fiscale», dans cette affaire de lingots. Les deux affaires sont intimement liées : c’est après la dénonciation du père que la justice s’est penchée sur le patrimoine luxembourgeois de la famille. «Leurs affaires sont très artisanales, raille l’ancien l’élu déjà cité. On dirait des pieds nickelés.»
Read Full Post »