Propos recueillis par Samy Mouhoubi
Retraité depuis 2009, l’ex-directeur du renseignement – un poste fort convoité – livre ses réflexions sur ce métier de l’ombre.
Il a l’œil malicieux de celui qui vient de bousculer son service d’origine, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), surnommée la « Piscine ». Auteur de « 25 ans dans les services secrets« , ouvrage coécrit avec Laurent Léger, Pierre Siramy – son pseudonyme militaire – relate son quart de siècle au sein de celle qu’il nomme la « Boîte », une maison très peu diserte sur ses activités.
France-Soir – Pourquoi avoir rédigé ce livre sur la DGSE, votre ancien employeur ?
Pierre Siramy – La « Boîte », comme on l’appelle, est multiforme. Tous les métiers y sont représentés. Je voulais la décrire.
F.-S. Le ministère de la Défense étudie la possibilité de vous poursuivre. Le redoutez-vous ?
P. S. Non. Je me doutais que cela arriverait. La « Boîte », très prude, n’aime pas qu’on parle d’elle. Lorsque l’un de ses membres écorne un peu le devoir de réserve, on tente de le sanctionner pour l’avenir. Rien dans ce livre ne touche le secret-défense. Je dors tranquille.
F.-S. Un mercenaire franco-sud-africain, dont vous donnez le nom et que vous tenez pour le meurtrier de Dulcie September, l’ex-mandataire, à Paris, de l’ANC, abattue, en 1988, à son domicile, vous assigne en diffamation avec Flammarion…
P. S. Il est potentiellement le meurtrier. C’est une information qui m’est rapportée dans les jours suivant l’exécution par l’une de mes sources baptisée « Sefora ». J’en informe mon patron direct qui m’emmène aussi sec voir les autorités de l’époque, dont Robert Pandraud, chargé de la Sécurité publique. Je me demande pourquoi l’intéressé n’a pas saisi la justice plus tôt, son nom ayant déjà été évoqué…
“Sous les jupes de la République…”
F.-S. Vous semblez déplorer l’évolution de la DGSE…
P. S. Nous avons de moins en moins d’espions et de plus en plus « d’espiocrates », des carriéristes, dépourvus de tout sens critique, prêts à avaler toutes les couleuvres. Ces gens serviles, au service de clans et chapelles, cherchent à gagner des galons à tout prix et le plus vite possible ! Or, à mon avis, la promotion ne se mérite que sur la pertinence des dossiers traités.
F.-S. Comment jugez-vous la réorganisation voulue par le pouvoir ayant récemment abouti à la création du Conseil national du renseignement (CNR) ?
P. S. Le dispositif créé autour de Bernard Bajolet, le coordonnateur des services, n’est pas mauvais. Il doit permettre une meilleure cohérence. La récente nomination de Patrick Calvar, un grand flic – l’ex n° 2 de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) –, à la direction du renseignement de la DGSE constitue un supplément d’oxygène.
“Rondot nous a souvent baladés”
F.-S. Que pensez-vous de l’intervention de la DCRI – finalement admise par son patron, Bernard Squarcini – dans l’affaire des rumeurs ayant secoué l’Elysée ?
P. S. Elle a fait son boulot. On peut le déplorer, mais il est essentiel de préserver l’image du chef de l’Etat qui représente l’ensemble des Français. J’ai travaillé pendant plus de dix ans au bureau des affaires réservées où j’ai eu à regarder sous les jupes de la République… On utilise sans état d’âme les écoutes téléphoniques, les archives et le terrain. Parfois même on anticipe pour circonscrire la rumeur et prévenir les autorités concernées qui font ensuite ce que bon leur semble.
F.-S. Dans votre livre vous n’épargnez pas le général Philippe Rondot, présenté — au moins jusqu’au scandale Clearstream — comme la quintessence du renseignement tricolore…
P. S. Je l’ai peu mais suffisamment fréquenté pour pouvoir dire que s’il est censé incarner « le » maître espion, alors, moi, je veux bien me faire moine ! Philippe Rondot avait un carnet d’adresses faramineux. Je suis plus circonspect sur ses méthodes de travail. Il nous a souvent « baladés ». Alors qu’il nous avait, par exemple, assuré que nous étions « pilotes » lors de la traque des criminels de guerre serbes, on s’est aperçus qu’il avait activé d’autres services dans notre dos… En plus d’avoir souvent intrigué, il avait la fâcheuse habitude de tout noter sur des carnets qu’il conservait. Un comble en matière de sécurité…
“L’antiterrorisme, une tarte à la crème”
F.-S. Vous évoquez également l’assassinat des moines de Tibéhirine. Avez-vous été surpris par les déclarations fracassantes, cet été, du général François Buchwalter pour qui la mort des trappistes, en mai 1996, serait une bavure de l’armée algérienne ?
P. S. A l’époque, l’Algérie trouve que la France est trop timorée dans sa lutte contre les Groupes islamiques armés (GIA). Il lui faut donc impliquer davantage Paris pour juguler les islamistes radicaux. On peut d’ailleurs se demander si certains d’entre eux n’ont pas été créés de toutes pièces par Alger afin de maintenir une chape de plomb et de couper l’herbe sous le pied du Front islamique du salut (FIS). Cela n’engage que moi : je ne crois pas à la bavure mais plutôt à l’exécution des religieux par des éléments manipulés de l’armée algérienne. Une façon d’obliger la France à lutter contre l’islam radical sur le mode : « On vous l’avait bien dit, vous n’avez pas voulu écouter, voilà le résultat… »
F.-S. Peut-il y avoir des limites au travail des services de renseignements dans une démocratie ?
P. S. On se doit de respecter une certaine déontologie, celle de la République. C’est pourquoi, le tout sécuritaire ne me plaît pas car, sous couvert de les protéger, on transforme les gens en moutons pour mieux les surveiller. La lutte antiterroriste est devenue la tarte à la crème de tous les services. Tout le monde en fait un peu, résultat, personne n’en fait vraiment ! Il faut vite clarifier missions et compétences.
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